Le rôle des réseaux dans les TCA : le cas de l’anorexie
Un article rédigé par Ségolène Du Cleuziou
Depuis les années 2000, les réseaux sociaux ne cessent d’évoluer. Lors de leur développement massif au début du 21e siècle, l’idée que s’en faisait le public était assez paradoxale. En effet la découverte des infinies possibilités qu’offraient ces réseaux était au milieu des nouvelles tendances, mais simultanément, on craignait une perte du lien social en faveur d’une sociabilité faussée.
Cependant, les sociologues ont développé et étudié ces avis, et aujourd’hui, on parle plutôt d’une « nouvelle sociabilité ». Cette tendance laisse apparaître différents effets, plus ou moins positifs.
L’émergence du « Body-Positive »
On voit apparaître sur les réseaux sociaux et dans les médias le mouvement du « body positive ». Ce mouvement consiste à mettre en avant les corps de femmes (en grande majorité) de toutes tailles, toutes formes, toutes couleurs, de dénoncer les normes d’un corps parfait et d’encourager à l’acceptation de soi. Alors qu’il y’a encore une importante quantité de comptes Instagram mettant en avant de jeunes femmes musclées, avec des formes et aucun défaut, de nombreuses influenceuses dénoncent le faux derrière tous ces comptes : l’utilisation de sites de retouche, des lumières et décors pour que tout semble parfait. « Ce qu’on voie sur les réseaux ce n’est pas du réel, c’est un instant T, une pose, une lumière, un moment, de la congestion pour les sportifs, une fraction de seconde qui ne reflète pas souvent la réalité » c_snowhite_ (influenceuse sportive sur Instagram)
De nouvelles marques telles que « Sans complexe » apparaissent, en plus de certaines marques déjà établies sur le marché (Zalando, Dove, American Eagle…), prenant part à ce mouvement en lançant des productions de vêtements avec de plus larges gammes de tailles. Les mannequins des magazines, publicités et défilés sont également de plus en plus représentatives des « vraies » femmes avec des morphologies variées. La loi a également pris part à ces changements grâce aux décrets Photoshop d’octobre 2017 obligeant à ce qu’il soit indiqué si une photo est retouchée et interdisant l’emploi de mannequin présentant un IMC inférieur à 18,5 afin de limiter au maximum les mannequins se sous-alimentant afin d’accéder au monde fermé de la mode.
Ces modifications qui peuvent parfois sembler mineures sont bénéfiques sur plusieurs points. Pour commencer, les femmes peuvent plus aisément s’identifier aux modèles de leurs magazines et cela facilite fortement une acceptation et une estime de soi. De plus, cela détruit peu à peu l’image de la femme parfaite ancrée inconsciemment ou non dans l’esprit de chacun. Finalement, les normes de minceur réduite, cela diminue la pression sociale pouvant parfois mener à suivre des régimes dangereux pour la santé, voir à des TCA (troubles du comportement alimentaire).
La sociabilité essentielle
Les personnes atteintes d’anorexie vont parfois chercher du soutien sur les réseaux sociaux. En effet, il existe des comptes de personnes sur la voie de la guérison, ou souhaitant y parvenir, venant chercher des encouragements, ou simplement témoigner de leur progression afin d’encourager des personnes encore malades à les suivre.
Ces comptes sont bénéfiques pour leurs créateurs, ainsi poussés à avancer et ne pas retourner en arrière grâce au soutien de leurs proches, ou d’une communauté qu’ils ne connaissent pas forcement personnellement. Cela peut parfois simplifier le contact.
Les autres bénéficiaires des effets positifs de ces comptes sont les personnes qui ne se savent pas anorexiques. En effet les comptes témoignant de ces symptômes comme étant une maladie permettent d’informer les personnes dans le déni, ne se rendant pas compte eux-mêmes de leur situation, ce vers quoi ils se dirigent.
Finalement, certains malades, n’osant pas se mettre en avant, peuvent venir chercher du soutien en s’identifiant aux détenteurs de ce genre de comptes, et en profitant des échanges entre ces derniers et leur communauté. Ils peuvent également y trouver des solutions ou des voies de progression.
Il existe différents types de soutien en ligne : le soutien « informationnel » ; des avis et des conseils, le soutien « émotionnel » ; c’est le fait de se sentir encouragé et d’avoir des personnes en qui ont peu avoir confiance, et le soutien « instrumental » : un soutien plus pratique, matériel ou financier.
Les réseaux comme signal d’alarme
Parmi les sites internet cités précédemment, certains sont qualifiés de sites « pro-ana ». Il est assez aisé de faire un rapprochement entre ces sites et des pages qu’on pourrait qualifier de « pages pro-ana » sur les réseaux sociaux.
En 2015, le gouvernement a tenté d’interdire les sites pro-ana en posant une amende ainsi qu’un an de prison pour les créateurs, pour cause « d’incitation à la maigreur excessive ». Cependant, malgré les premières impressions vis-a vis de ces sites/pages, il en découle tout de même certains effets bénéfiques qui expliquent pourquoi cet amendement pourrait être une erreur.
Pour commencer, il est inutile d’essayer d’empêcher ce genre d’échanges, car il existera toujours un moyen pour les personnes concernées de communiquer entre elles, créant de nouvelles communautés, mais de plus en plus impénétrable.
Ensuite, des études ont montré que l’utilisation de ces pages était accrue dans les déserts médicaux : les lieux où le service de soin n’est pas adapté aux besoins des personnes souffrants de TCA ou bien même absent. En effet le personnel de santé travaille tous les jours à parcourir ces pages en accompagnant les malades au travers de ces réseaux. Interdire ces sites reviendrait à diminuer encore plus les ressources que possède le personnel soignant pour identifier et accompagner au mieux les personnes souffrant de TCA.
Sur ces pages les malades peuvent trouver de l’aide au côté des soignants, mais également des autres utilisateurs : ces derniers sont la pour comprendre, partager les souffrances, et réagir en cas de danger.
En conclusion
L’anorexie et tous les TCA sont de vrais enjeux de santé publique. Il est essentiel qu’ils soient pris en charge au mieux et mieux compris, et cela commence par l’information.
Les réseaux jouent un rôle évident dans cette prise d’information : ils ont certes des effets néfastes notamment dans le déclenchement des TCA, mais on peut également leur trouver des bénéfices. Il faut savoir reconnaître ces derniers et les utiliser au mieux dans la prévention.
Bibliographie :
https://www.liberation.fr/societe/2015/04/02/un-amendement-qui-met-en-danger-les-malades_1234013
Troubles dans les rapports sociaux : le cas de l’anorexie et de la boulimie Claire Scodellaro, Jean-Louis Pan Ké Shon et Stéphane Legleye Dans Revue française de sociologie 2017/1 (Vol. 58), pages 7 à 40 https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2017-1-page-7.htm