La sélectivité alimentaire chez l’enfant autiste
Lorsqu’on travaille avec un enfant autiste, on se voit confronté à une controverse qui rend notre travail difficile. Autant certains parents souhaiteraient des solutions alimentaires à l’autisme de leur enfant, autant il y en a pour qui la sélectivité alimentaire de leur enfant ne devrait pas être considérée comme un problème, leur enfant devant être accepté comme il est dans sa totalité. Les opinions sont tellement mitigées!
Même lorsque la sévérité de la sélectivité alimentaire est importante, il est tentant de préconiser le statut quo sous prétexte que l’autisme est l’autisme, une condition et non pas une maladie. En tant que professionnelle spécialisée pendant des dizaines d’années auprès d’enfants avec troubles envahissants du développement, TDAH ou problématiques sensorielles importantes, j’ai vu dans ma carrière l’éventail complet de sévérité de la sélectivité alimentaire.
Tous les enfants méritent des soins
Je peux affirmer qu’on ne peut traiter tous les enfants de la même façon, enfant autiste ou pas… Mais la sélectivité alimentaire, ce n’est pas l’autisme! Et tous les enfants se développent mieux quand l’alimentation est optimale. Et ce n’est pas qu’une question de poids ou de taille. Un enfant autiste qui présente un trouble de développement peut avoir une courbe normale, mais une courbe de croissance nous renseigne sur un seul aspect : l’atteinte des besoins énergétiques. La courbe ne dit pas si les calories sont bien réparties pour permettre une bonne concentration à l’école, une bonne hydratation, ou suffisamment de vitamines et minéraux. Le développement, c’est aussi le développement moteur, social et psychologique.
Trop de gens, même des professionnels chevronnés, mais dont la nutrition n’est pas le champ d’expertise, vont banaliser le problème de rigidité alimentaire quand la courbe de croissance est normale. Malheureusement, une courbe de croissance normale est trop souvent une raison pour NE PAS consulter, alors que l’apport de tous les enfants présentant une sélectivité alimentaire devrait être évalué, ne serait-ce que par souci de prévention.
Des parents à bout de souffle
Une courbe normale chez un enfant qui ne présente pas de sélectivité alimentaire nous rassure effectivement. Mais lorsque des troubles d’intégration sensorielle ou de développement sont présents, il y a tant de facteurs en jeu. Les parents sont aux prises avec des comportements alimentaires parfois tellement compliqués à gérer! Ne serait-ce que pour faciliter la vie des parents et leur permettre de souffler, d’arrêter de faire constamment deux menus, il faut apporter du soutien aux familles. Ou pour aider à briser l’isolement des familles qui ne prennent jamais de vacances parce que leur enfant ne mangerait pas…Tous les parents qui jonglent avec la sélectivité alimentaire de leur enfant devraient pouvoir avoir de l’aide, que la courbe soit normale ou pas. Car la santé des parents est essentielle à la santé de la famille.
Chercher des solutions réalistes
On ne parle pas ici de réinventer l’assiette de l’enfant ou de le soumettre à des diètes abracadabrantes. On vise plutôt à outiller le parent afin qu’il puisse combler les besoins nutritionnels de son enfant à partir des aliments acceptés, en attendant qu’il élargisse son répertoire. Il y a tant à faire avant même de modifier la composition du menu ! Le simple fait d’enseigner aux parents des stratégies qui leur permettent d’utiliser l’alimentation pour développer le sensoriel, comme par des activités ludiques que j’appelle ‘sensori-culinaires’, sèmera des graines. Les fruits seront récoltés dans le futur, quand l’enfant sera prêt à prendre des risques dans son assiette.
Et c’est le plus tôt possible qu’il faut commencer. Cela permet en plus aux parents d’apprendre énormément sur le profil sensoriel de leur enfant. Une fois qu’on connait le profil sensoriel de son enfant, on peut transférer cette connaissance à d’autres sphères de la vie. Car la façon dont on réagit aux aliments est souvent très révélatrice de la façon de réagir à l’environnement en général.
Des activités sensori-culinaires
Qu’est-ce qu’une activité que l’on pourrait qualifier de sensori-culinaire ? Vous en faites déjà probablement plusieurs dans votre quotidien ! L’essentiel est de commencer très simplement pour enclencher un processus, établir une routine de ‘collation amusante’. Lécher des batteurs pour en nettoyer le glaçage, faire des biscuits, utiliser des pommes de terre pour se sculpter des étampes pour réaliser des œuvres de peinture…comestible ! Pour un enfant qui n’a pas de sélectivité alimentaire, ces activités sont la plupart du temps captivantes. Pour un enfant autiste ou sélectif, cela peut représenter un défi. Il est donc important d’installer un système de renforcement positif. On félicite quand l’enfant surmonte sa peur de toucher, de goûter, sentir ou même regarder un aliment inconnu. L’approche du programme Manger c’est SENSASS ,sur l’école en ligne de Passeport Nutrition, est justement basée sur la découverte des aliments dans le plaisir.
Le jeu à la rescousse
Pourquoi jouer avec son enfant sélectif et entrer en contact avec lui grâce à l’alimentation ? Car le jeu est le meilleur professeur, il dédramatise, il désensibilise, et il rapproche. Le jeu avec les aliments change également la dynamique, installe un climat de confiance envers les aliments. Mais tout est dans la façon d’aborder le jeu. C’est un jeu pour l’enfant, mais une formation pour le parent ! Les rôles s’inversent, l’enfant prend les rennes et apprend à son parent comment il aime (ou n’aime pas) manger. Avant de savoir quelles activités sensori-culinaires sont susceptibles d’aider son enfants, comprendre les causes de sa sélectivité alimentaire est d’ailleurs un préalable essentiel, ainsi que bien identifier son profil sensoriel.
Et qui sait… Vous aussi, vous vous laisserez peut-être prendre au jeu !
Article par Marie-France Lalancette, auteure du livre Autisme et Alimentation, relever le défi une bouchée à la fois, Editions Le Dauphin Blanc